Le Quart livre d’Anatole France

 

 

 

 

 

Voyage intrigant et troublant, le Quart livre figure en bonne place dans la Bibliotheca Bodmeriana. Martin Bodmer avait fait l’acquisition d’un précieux exemplaire de 1552 ayant appartenu à Anatole France, gloire du monde littéraire français avant 1914 et fervent amateur de Rabelais.

Le Quart livre, ultime œuvre du Maître, est certainement son testament littéraire. Testament sur mer, comme celui auquel songe Panurge dans la tempête. L’histoire éditoriale de ce livre-somme est complexe : paraît d’abord, en 1548, un livre énigmatique, incomplet et atrophié ; puis, en 1552, le chef-d’œuvre monstre, si puissant, si drôle, si terrifiant, si caractéristique de la dernière manière de Rabelais. Un voyage aux confins des mondes possibles, en forme de traversée de tous les livres et de toutes les monstruosités humaines. C’est l’histoire naturelle de Pline défigurée par Jérôme Bosch, l’Odyssée d’Homère revue par un basochien lecteur de Lucien, avec la violence de Villon et l’érudition de Plutarque. Novarina dit de Rabelais qu’il est « lumineusement incompréhensible ». C’est on ne peut plus vrai pour le chaos lucide de ce Quart livre.

 

 

 

La Bibliotheca Bodmeriana conserve l’un des dix exemplaires qui restent de cette édition de 1552 publiée par Michel Fezandat, dont chaque exemplaire ou presque constitue un état unique (corrections sous presse, cartons, présence ou absence de la « Briefve declaration »). On trouve dans cet exemplaire la Briefve declaration, petit lexique pseudo-sérieux en forme de gloses pour autant de « dictions obscures » qu’affectionnait Rabelais le lexicographe, dont ce sera la dernière contribution anthume. Un livre n’est souvent qu’un dictionnaire en désordre, disait Cocteau. Tout le Quart livre est fait pour aboutir à ce petit lexique, résumé des passions linguistiques de son auteur…

À la fin de la navigation, Rabelais abandonne les pantagruélistes en pleine mer. Nous n’aurons pas le mot de la Bouteille pour lequel nous avions appareillé… mais, à la place, un lexique pour rire : cette Briefve declaration.

 

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